20 septembre 2011

ADMINISTRATIONS - Episode 4

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Le cas de Benoît T. s'était accéléré quelques semaines auparavant et avait rapidement dégénéré en "affaire". En clair, un sous-dossier avec numérotation spéciale avait été créé. Les courroies d'entraînement des systèmes rotatifs de classement, déjà surchargés, en bavaient. Ce qui avait justifié une intervention de Julien A., chef de la centrale d'achat du district. Dans un courrier électronique adressé aux ressources humaines et transféré à l'ensemble du personnel, il avait fustigé "l'insouciance crasse et récurrente de la section "Contentieux Ouest" du Service d'encaissement des contributions vis-à-vis du matériel et des infrastructures."

Jean-Jacques K., convoqué dans le bureau de Monsieur le Conseiller général P., directeur du Service d'encaissement des contributions, avait failli perdre ses nerfs. Il estimait qu'il fallait "se donner les moyens administratifs d'appliquer les consignes réglementaires. Elles-mêmes servaient à contenir les débordements des contribuables, exponentiels à la dégradation de la situation économique." En clair, il fallait oser créer de nouveaux dossiers "dans un esprit proactif qui doit caractériser l'administration de demain."

Benoît T. avait ainsi "monstre foutu les boules à tout le monde", comme se plaisait à le rappeler la réceptionniste Josiane M.

Il y a environ deux mois, il était venu au guichet demander un arrangement de paiement pour des impôts échus depuis un an. Il souhaitait régler en neuf mensualités le montant de 1540 euros. Jocelyne F. avait expliqué qu'elle ne pouvait accorder que trois mensualités. Benoît T. avait argumenté qu'il était veuf avec deux enfants de 7 et 10 ans à charge et que son salaire d'automaticien, partiellement imposé à la source, ne lui permettait pas d'honorer de manière régulière l'ensemble de ses contributions. Jocelyne F. avait répété qu'elle ne pouvait accorder que trois mensualités. Benoît T. était "resté un moment silencieux, ce qu'on n'aime pas trop, si tu veux bien dire", avait ensuite précisé Jean-Claude E. qui assistait à la scène depuis l'île voisine de l'open desk.

Jocelyne F. avait terminé l'échange en signalant à Benoît T. qu'il recevrait "prochainement par courrier postal" des nouveaux bulletins de versement adaptés.

Quelques jours plus tard, Benoît T. remportait 2000 euros au loto national. Lorsque son compte fut crédité de cette somme, il effectua rapidement un versement unique de 1540 euros au Service d'encaissement des contributions.

La section "Contentieux Ouest" le rappela pourtant la semaine suivante, date d'échéance de la première des trois mensualités. "Ils" n'avaient pas reçu de paiement." Benoît T. s'en étonna vivement et expliqua sa démarche. "Mais vous n'avez pas utilisé les trois bulletins que nous vous avons remis?" Effectivement, Benoît T. avait jugé préférable d'effectuer son virement avec le bulletin qui mentionnait l'entier de la somme due. "Ce bulletin n'existe plus dans notre base de données, Monsieur. Les trois nouveaux bulletins ont été codés pour nous permettre d'assurer la traçabilité de l'arrangement de paiement qui vous a été octroyé."

Benoît T. s'était vite aperçu que personne, au sein de la section "Contentieux Ouest" du Service d'encaissement des contributions, ne pouvait précisément dire où se trouvaient actuellement les 1540 euros qu'il avait versés.

Benoît T. décida alors de revenir de sa propre initiative au guichet pour montrer la copie du bulletin qu'il avait utilisé. Ainsi le malentendu serait vite dissipé. "Ce bulletin n'existe plus dans notre base de données, Monsieur. Les trois nouveaux bulletins émis ont été codés pour nous permettre d'assurer la traçabilité de l'arrangement de paiement qui vous a été octroyé", lui répéta Jocelyne F.

Benoît T. franchit d'un pied en avant le cordon rétractable de sécurité devant les guichets.  Jocelyne F. recula près de la destructrice de documents. "Ce bulletin n'existe plus dans notre base de données, Monsieur. Vos trois nouveaux bulletins ont été codés pour nous permettre d'assurer la traçabilité de l'arrangement de paiement qui vous a été octroyé", répéta-t-elle, plus fort et plus lentement, comme le font certains guides touristiques.

Benoît T.eut alors un geste. "Il a tapé sur le comptoir", rapporta Jean-Claude E. "Il a fait taper ses bagues contre le guichet", estima Josiane M.

A suivre.

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