28 novembre 2012

A poings fermés

La nuit
Tient
Dans ses paumes
Notre sommeil
A poings fermés

Respirations

Les véhicules
Respirent
A la station-service
La nuit est paisible
Et traversée
Par les sangliers
De nos rages

23 novembre 2012

Réveiller la nuit

Dans nos manteaux d'aube
Armés de nos couteaux d'aurore
Nous partions réveiller la nuit
Une expédition à la sauvette
Hérissée de crétins
Nous avions oublié
Que novembre
Gardait ses portes

Falaises

Longtemps, certains mots ont exercé un pouvoir naturel, solide et simple dans des espaces à leur mesure. Était-ce de l’arrogance ou de la suffisance ? Ils n’ont pas accordé suffisamment d’importance à ceux qui cognaient de plus en plus régulièrement aux frontières de leurs champs lexicaux. Venus parfois de loin, dans des costumes étincelants, presque aveuglants. Ceci est l’histoire d’une aube. Celle de la fin de leur règne.

On buvait de petites tasses de silence. On pompait, du bout de nos index, les miettes de nos pensées. Et c’est sorti.

- C'est une exhibition.

Il est arrivé avec ses navires de guerre. Ils battaient pavillons insulaires. Tout l'horizon était rempli de voiles. On ne pouvait pas les ignorer. Il s'est posé là. Il a levé son verre. Il a fait tinter les glaçons. Il a bu. L'autre paume bien posée sur la table de métal. Et de sa gorge rincée d'apéritif est sorti ça.

- C'est une exhibition.

Nous, trempés sur la côte. Il fallait que nous réagissions. Nous devions actionner les alarmes. Un choc devait se produire. Allait-on laisser les navires accoster? Nous sentions déjà les relents visqueux de leurs ponts. A nos narines affluaient les odeurs portées par ça.

- C'est une exhibition.

L'un d'entre nous monta sur une grosse pierre plate. Afin que tous puissent juger de l'éclat de son armure. Il se voulait rassembleur. Il a brandi son glaive.

- Comment dites-vous?

Voyez, maintenant, ça fume à l'horizon, ça s'agite sur les ponts. Des hommes montent aux mâts. On les distingue. Ils ont la taille de fourmis dodues. Leur marine a vu l'éclat de cette épée sur nos côtes.

- C'est... une... exhibition...

Des sons de corne de brume maintenant. Vous entendez? Il détache les mots. Les grands voiles se déploient. Qui sommes-nous pour les impressionner? Ils voudraient que nous les accueillions. Que nous les laissions fouler notre sol. Que nous nous ébahissions face à ça.

- Oui, c'est une exhibition.

Ici, l'armure a fait son effet. Chacun s'équipe. Bientôt, nos troupes seront massées sur les falaises. Les procédures, régulièrement entraînées, ont fonctionné. D'un glaive est née une armée. D'un glaive jaillit désormais un souffle.

- Vous voulez dire une démonstration?

Regardez les capitaines! Ils viennent à la proue. Les barreurs les ont appelés. Ils remontent quelques carrés. Les navires ralentissent. Oui, ils s'immobilisent. On distingue le reflet des verres des longues vues.

- Oui, enfin, c'est une exhibition.

Il rassemble ses mains sur la table. Les navires pivotent. Un bon tiers des trappes à canon s'ouvrent. Ils veulent imposer leur venue. On s'est opposé à leur élan. On a mis en doute l'usage de ça.

- Qui s'exhibe?

Nous avons donné l'ordre aux archers d'allumer leurs flèches. La nuit tombe et la falaise se met à scintiller. On entend sur la ligne d'horizon le roulement des canons qui viennent taper sur la coque en prenant leur position. Il maintient ça. Il maintient ce mot.

- Avec deux joueurs de ce talent, quelle exhibition ça promet!

Ils gueulent tous sur les ponts. Ils donnent de la voix. Maintenant, il penche le buste en avant sur la table. Ils veulent nous dire qu'on ne leur échappera pas. Il impose une complicité plénipotentiaire. Le débarquement n'est pas une option.

- Ah bon? Ils vont jouer nus? Ils vont faire les marioles?

Ici, les arcs sont bandés. Le bout brûlant des flèches dirigé vers le ciel. Il suffit d'un ordre.

- Qu'est-ce que vous me chantez-là?

Du côté des navires, on sait qu'il est trop tard pour remonter les voiles principales. On voit bien que tout peut s'enflammer. Nos yeux sont plantés dans les siens. Notre buste aussi prend possession du plateau de table.

- C'est une démonstration. Une exhibition, c'est autre chose.

Les officiers plastronnent tous sur les bastingages. Les couleurs de leurs uniformes se détachent. On ne voit plus qu'eux. Il y a un silence. Il n'y a plus que la mer. Il n'y a plus que les éléments.

- Oui, dans ce cas, on dit une exhibition.

Ils ne bougeront pas. Ils nous font bien voir que les canons peuvent très bien tirer contre les falaises et faire du dégât. Même si nous brûlons leurs voiles et qu'ils ne peuvent plus avancer. Ils veulent que nous nous soumettions à leurs coutumes. Que nous acceptions cet usage. Que nous accueillions ça.

- Une exhibition, tout simplement.

L'ordre est lancé. Les flèches sont parties. Elles lacèrent la nuit de rouge, de bleu, d'orange et de fumée. Elles se plantent dans l'horizon.

- Absolument pas. C'est un abus de langage. Vous dites exhibition alors que vous pensez démonstration.

Des matelots se jettent à la mer. D'autres se mutinent. Ils n'ont plus confiance en cet uniforme qu'ils ont embrassé parce qu'ils croyaient que l'art de la guerre et ses codes seraient mieux respectés. Qu'on ne déshabillerait pas des peuplades pour les affubler des atours de l'empire. Déjà nos arcs accueillent de nouvelles flèches. Son buste recule. Ses bras reposent sur les accoudoirs. Son regard se promène sur le sol.

- Oui, enfin, si vous voulez.

Les navires s'éloignent à la rame, avec ceux qui restent. Nos falaises ont tenu bon. Nos côtes ont affirmé leur indépendance. Nos procédures ont fonctionné. Il a fallu les éprouver jusqu'à leurs limites. Déjà, pourtant, l'horizon se charge à nouveau, déjà nos garnisons devront procéder à des marches forcées aux frontières de nos territoires, déjà il faut élaborer de nouvelles tactiques. Contre ce qui pointe. Contre ça.

- C'était en tout cas une bonne occasion d'échanger.

17 novembre 2012

Joie légère

Avec satisfaction
Nous avons appris
Que la minuterie de rotation
Des gobelets de café
Etait à nouveau
Opérationnelle

Avec satisfaction
Nous redéployons
Les intentions
De nos contacts clientèle

Ainsi
La joie monte
Avec la légèreté
D'un papillon
Dans notre secteur
De production

Au fond de son sourire

Au fond de son sourire
Il lui a arraché sa dernière dent
Puisque ça gênait
Le passage de la bouillie de pois
Et vous savez
Ma petite dame
Il faut prendre des forces
Avant la mort

Pelles

Limons nos pelles
Le trou à creuser
Pour toucher le fond
Est épuisant
Et nos tristesses
Ravinent sans cesse

Verrou

C'est la porte
Lorsque nous empruntons
Le chemin de l'Enfer
Qui pose problème
Puisqu'elle
Se referme de l'extérieur

13 novembre 2012

Il s'écoule

Il a perdu l'amour
Comme on oublie
Son parapluie
Après le déjeuner

Il a perdu l'amour
Il est livré
Aux rinçures
D'un ciel plongeur

Il a perdu l'amour
La ville est un évier
Le trafic brosse les rues
La végétation mousse

Il a perdu l'amour
Il suit
Quelques lentilles
Bouillies et désorientées

Il a perdu l'amour
Il s'écoule

12 novembre 2012

Tasse

Tendre sa tasse
Boire un peu de ciel
Avant qu'il ne soit
Complètement froid

10 novembre 2012

Ton corps

Ton corps
Est un immeuble
Désaffecté
Investi
Par des êtres
Perdus et défaits
Chauffé
Du souffle
De notre monde glacé
À tous les étages
Tu sens
La pisse, la merde, la came
Ta survie dépend
D'une note interne
Du Ministère

09 novembre 2012

Cerises confites

Nous marchons
Dans la nuit
Nous évoluons
Dans sa légèreté de génoise
Nous cherchons
Sans cesse
Ses cerises confites
Qui pourrissent
Avec le jour

07 novembre 2012

Jonglage

La vie
Est une chienne enragée
Et je jongle
Perché sur une chaise
Avec trois pommes sucrées

06 novembre 2012

En fuite

Notre amour
A perdu l'équilibre
Dans les escaliers
On a d'abord accusé
La conciergerie
Et ses encaustiques
Les gosses
Et leur bazar
Alors que nous étions
En fuite

Rues

Le soleil inonde les rues
Très vite après la pluie
Comme s'il voulait
Neutraliser
Nos traces visqueuses

03 novembre 2012

Dix centimes

Il est mort. Et pendant ce temps, je glissais des pièces dans un parcmètre. Et je pestais parce qu'il me manquait dix centimes. Et j'ai dit nom de Dieu. Parce que des piécettes dépendait le coupon. Parce que du coupon dépendait l'ouverture de la barrière. Parce que de l'ouverture de la barrière dépendait la fille aux chocolats. Parce que de la fille aux chocolats dépendait la fille qui les mangerait. Il est mort. Durant l'absence de dix centimes.

Convoi

La pluie
Tombe en caramels de mariage
Nous défions nos maladresses
Dans le sillage des berlines
Pourtant
Nous finissons les mains vides
A observer les autres
Jongler
Entre leurs doigts
Avec la lumière
En copeaux de papier

02 novembre 2012

Se disputer

Elles se mettaient
Des queues de cerise
Dans les cheveux
Pour mieux
Se crêper le chignon

Rue de Grenelle

Elle l'avait retrouvé
Rue de Grenelle
Et puis le monde
Avait fait
Une rupture d'anévrisme
Ensemble
Ils devraient
Réapprendre
Aux vieux singes
La panoplie
Des grimaces
C'était un beau projet
Qui susciterait
L'enthousiasme

Aluminium

Il portait
Son amour
Comme on amène
Chez un voisin
Une tarte aux poires
Pour le goûter

Déjà un peu molle
Il avait recouvert
Le tout
D'aluminium

Chérie, tu viens?

Couché dans le vent
A écouter la terre à poils
Se balader dans le jardin
Bientôt
Elle viendra allonger
Son corps contre le sien
Raide comme tronc
Il n'ose pas lâcher
Chérie, tu viens?