01 octobre 2024

Sous-sol

Venu d'en bas
De la cave
Sous le fond de la terre
Si elle en avait une
Venu exciter ces forêts
Venu leur souffler dessus
Ces arbres dressés
Sur leurs pattes arrières
Et leurs hurlements gutturaux
Venu ici
Ce souffle, cet air, ce vent
Cogner du bâton
Sur des barreaux invisibles
Puisqu'il sait que les prisons d'écume
Existent à la commissure des tristesses 
Puisqu'il ne monte pas de la cave
Sous le fond de la terre
Oui, si elle en avait une
A la légère
Les bras vides
Une fois les forêts rendues folles
Tout est prêt
Pour dépecer les êtres
Qui s'agitent et qui s'entretuent
Au milieu de leurs prisons d'écume

01 septembre 2024

Du plat de la main

Chasser quelques insectes
Du plat de la main
Pratiquer la brasse
Se laisser porter
Par des courants sombres
Et progresser dans la nuit
Celle qui produit
Mille fantaisies
Pour nous distraire
Et nous faire peur
Alors que nous sommes
Des trappeurs d'insectes
Ceux qui habitent la nuit
Qui se vautrent
Qui se prélassent
Qui dansent
Et qui l'aube venue
Ne paient rien du tout
Puisqu'ils sont ici
Chez eux
Et cousins du jour

01 août 2024

Colères

Le matin s'aiguisait tout seul
Le jour tranchait et luisait
C'était une aubaine
Pour les trappeurs de colères
Ils creusaient des trous à même l'aube
Ils tricotaient quelques tristesses
Prises en vrac
Faciles
Pas chères
Et ils produisaient des toiles amples
Et ils en recouvraient leurs trous
Restait à attiser et à attendre
Elles ne tarderaient pas
Les colères matinales
Sortent la tête ailleurs
Folles, fières et furieuses
Ne regardent pas où elles vont
Traversent forêts et rideaux de pluie
Drapées de fracas
Elles rajustent leurs cris
Elles se regardent beaucoup
Une flaque les contentent
Et ces tapis de tristesses
Flattent leurs pieds agités
C'est ici que les trappeurs
Ont le geste sûr
Les précipitent au fond
Et les observent un moment
Se débattre, ronger tout ce qu'elles trouvent
Arracher leurs colliers d'émotions sèches
C'est ici que les trappeurs
Font voir à leurs enfants
Combien le commerce de colères
Est exigeant et lucratif

01 juillet 2024

Fouiller les taillis

Le monde penche
De plus belle
Il fait frais sur l'horizon fuligineux
Et il faut se donner de la peine
Pour tenir droit
Pour marcher vers ces fourrés
Pour aller cogner dedans
Et voir si les bruits, les gloussements et les borborygmes de la nuit
Y ont laissé quelque chose
Des traces, des branchages mordillés
Le monde penche
Sapristi
Il est bien décidé à nous empêcher
De rejoindre ces fourrés
Puisqu'il sait qu'en bons fouilleurs de taillis
Ce sont les miettes, les carcasses et les osselets du jour
Que la nuit et ses plénipotentiaires
Sont venus ronger et rogner là-dedans
Qui nous importent
Le monde penche
Mettons-nous à l'autre bout de ce déséquilibre
Sautons à pieds joints du côté du jour
Et regardons la nuit rebondir sur l'horizon
Vomir et recracher des morceaux de lumière
Provoquons un feu d'artifice
Bricolé des restes d'un jour imprudent et dévoré

01 juin 2024

Polir

Arracher un bout de nuit
D'une vieille étole de ciel sombre
Ternie par la poussière des aubes naissantes
Arracher un bout de nuit
Alors qu'elle s'en va
Alors que sa tunique traîne encore
Et le polir
Et l'enfoncer dans l'orbite
De ce vieil hibou borgne
Pour redonner un peu de lustre
Aux éboueurs de l'obscurité
Aux tresseurs de pluie
Aux trieurs de nuages
A ces professions faméliques
Lancées aux trousses d'un éclat
Sur la piste maigre de ce que nous aurions perdu
Ivres de jour flâné
Perdus dans nos lumières fanées

01 mai 2024

Fouillis

Le dos calé dans l'herbe
Chiffonner les nuages
Que les arbres
De leurs feuilles propres
Auront épousseté
Rendus moins gris
Plus présentables
Plus fréquentables
Par la haute saison
Mettre le ciel en fouillis
Balbutier le bazar
Et retenir
Les iules, les sylphes
Les peuples souterrains
De barbouiller
Cette saison
Méticuleusement
Mise en fatras

01 avril 2024

Chevilles

La vie qui tombe trop
Sur les chaussures
Jusqu'à glisser
Sous l'arrière des semelles
La vie qui s'élime
Au fil des pas
La démarche
Qui s'habille de bruit frotté
Cette vie à raccourcir
Cette vie à ourler
Histoire de bien dégager
Les chevilles
Et de faire reluire
Les cuirs
Jusqu'aux plus épais

01 mars 2024

Aux avant-postes

Fumer quelques heures
Aux avant-postes de la fureur
Ecouter ce crépitement qu'elles font
A mesure qu'elles se consument
Et tirer dessus en creusant les joues
Penser
Quelle naïveté
Que la fureur sera elle aussi aspirée
Alors qu'elle seule décide
De venir ou non
Et pour combien de temps
Et par quels horizons
Fumer quelques heures
Et laisser leurs cendres
Aux bons soins
Des rafales, des bourrasques et des tourbillons
Qu'elles les emmènent
Au travers de cette fourrure dense et sombre
Que donnent à voir parfois
La terre et le ciel
Lorsqu'ils se cherchent querelle
Par ennui
Par manque de vent
Parce qu'ils n'ont jamais su
Fumer des heures
Et qu'ils nous tournent autour
Et qu'ils espèrent apprendre
A capturer des exhalaisons
En vain
Puisque l'ennui ne se laisse pas
Promener en laisse

01 février 2024

Gargouillis

La forêt gargouillait
Elles digérait
Son peuple
Espiègle et retenu
Quelques éveillés
Se tenaient
A chaque bout de son orée
Ils espéraient récupérer
Un souffle, un parfum, un écho
Ils patientaient
En attendant un rot
Constitué
De ces tristesses
De ces désespoirs
De ces rages
Que nous menons en forêt
Pour les perdre
Pour qu'elle s'en charge
Pour qu'elle transforme tout ça
En camelote bon marché
Destinée à étourdir
Ceux qui patientent devant les lisières
Avec ou sans arme

01 janvier 2024

Un panier de nuit

La nuit est un panier
Qui craque
Et qui chante
Les refrains
Des vieux osiers
Passés de caves en greniers
Des rengaines de poussières
Aux odeurs de sécheresse
La nuit est encore intacte
En bon état
Elle n'est pas percée
Elle ne perd rien
Personne ne pourrait
La suivre à la trace
S'il lui prenait l'envie
De déserter
La nuit est un panier
Dense et sombre
Rempli de provisions
De lumière et de jour
Coupés en lamelles
Séchés par le temps
Et aussi par le soin
De ceux qui
Un jour
Ont traversé le monde
Un panier de nuit au bras