01 décembre 2023

Un morceau de vent

La tristesse est un amas
De vieux arbres
Et de branches spaghettis
Abattus par une tempête 
Venue d'îles inhospitalières
Battues par des vents rôtis et saignants
La lune leur tombe dessus en parmesan
Autrefois l'appétit venait à cheval
On pouvait s'embusquer
Surgir des buissons
L'ouvrir par le milieu
Le couper net
Aujourd'hui il roule en véhicule de débardage
Pointu, coriace et hermétique
Il lui faut bien davantage
Que de vieux arbres abattus
Et saupoudrés de parmesan de lune
Pour le faire saliver
Cette tristesse restera ainsi au milieu du passage
On la verra se faire élaguer
Sous le poids du métal
Modelé par de nouvelles fureurs
Avec d'anciennes intentions
Jusqu'à ce qu'on ne distingue
Plus qu'une sorte de bouillie
Puisque c'est ainsi
Que les tristesses finissent
Lorsqu'elles trébuchent
Sur un morceau de vent rôti et saignant

01 novembre 2023

Famines

Et à nouveau
Découper la nuit
Plus sèche et plus dure
A chaque fois
Progresser parmi les miettes
Qu'elle produit
Enfoncer son couteau
Jusqu'à l'aube
Peut-être trouverons-nous
Un peu de rosée
Pour y tremper quelques morceaux
Même si ce genre de nuits
Ne se laisse plus attendrir
Alors découper la nuit
Et la jeter aux canards et aux cygnes
A tout ce peuple qui la parcourt depuis les airs
Et qui se moque de la façon
Dont nous moissonnons le jour
Et qui se moque
De nos famines

01 octobre 2023

Chaque matin

Chaque matin
Est une déclaration de guerre
Les effrois rutilants
Lustrés de nuit
Fument à l'idée de se jeter
A la gorge
Des vexations, des frustrations, des fureurs
Promises par le jour qui s'ouvre
Chaque matin
Est une escalade vers la colère battue en neige
Jusqu'au soir
Occupé à compter ses morts
Infesté de cris et des râles indistincts
Echappés dans la nuit alentour
Poursuivis par des escouades ivres de jour
Incontrôlables
Prêtes à les dévorer
Avant qu'ils n'atteignent
La lumière
Le jour
La prochaine guerre

01 septembre 2023

Des lumières en sauce sombre

Des lumières venues des contrescarpes du soir
De celles qui se sont laissé glisser
Dans les boues d'un jour poisseux
Qui ne pourront
Rejoindre et gravir les escarpes d'en face
Poursuivre leur chemin
Leur promesse de scier du végétal
Ces lumières condamnées
A errer dans la boue
Ces lumières soudain poilues
A se frotter les unes aux autres
A se lancer à la gueule leurs envies de surgir
A les cogner et à les fracasser
Et à les ramasser dans la glaise
Et à ne pas voir qu'elles s'enlaidissent
A mesure qu'elles se les jettent à la figure
Ces visages terreux et grotesques
Qui feront rire les soirs
Lorsque ceux-ci se promèneront sur les remparts
Au sommet des fortifications
Au bras de la nuit
Au-dessus de ces lumières en sauce sombre

02 août 2023

Truffe

Regarder cet homme
Promener son chien
Le laisser prendre de l'avance
Puisqu'il semble décidé
A débusquer
Quelque chose du soir
Au détour de la rue
Plus loin
Là où tu ne t'aventures plus
Le laisser aller prendre des nouvelles
De ce coin-là
Voir ce qui s'y passe
Un aboiement peut-être
Permettra de déterminer
Si tout est encore en place
Comme autrefois
Encore faut-il connaître 
Cette langue des aboiements
Celle qui la connaissait n'est plus là
Et d'ailleurs
En y regardant bien
Cet homme qui promène son chien
Part à l'assaut de la terre et du soir
Avec un animal
Qui rapporte des oiseaux
Qui a l'habitude d'avoir les crocs plantés
Dans les nuages
Que saura-t-il trouver ici
Au détour de la rue
Parmi les gravats et les poussières
Lui qui frotte sa truffe au ciel plutôt qu'au sol

01 juillet 2023

Vieux soir

Elles prennent appui sur le vent
Ces grandes et vieilles futaies
Elles se raidissent sur cette béquille
Elles se mouchent dans le ciel
Cette friture de bruissements
Ruisselle sur nos tables du soir
Et nous dînons d'un peu de bleu
Ravi par elles
A ces hauteurs azurées
Avant qu'elles ne s'éclairent de nuit
Puisqu'elles prennent appui sur le vent
Leurs murmures expectorés parviendront
Jusqu'à vous
Plus tard
Lorsque les grandes et vieilles futaies
Chez vous
Auront été dépouillées de leurs habitants
Partis à l'assaut d'une nuit plus vieille

01 juin 2023

Nuit vagabonde

Le soir
Est une taupe
Dans la gueule
D'un chat sauvage
Où avait-il fallu
Le poursuivre
D'où avait-il surgi
Combien de courses-poursuites
De ruses et de pièges
Peut-être avait-il 
Valdingué dans l'air
Histoire de jauger
S'il se montrait
D'humeur joueuse
Avant de lui planter
Les canines
Dans son gris
Et de faire monter un peu de rouge
Celui qu'il gardait jalousement
Celui qu'il avait chapardé
Aux aurores et aux aubes
Le soir
Est une taupe
Dans la gueule
D'un chat sauvage
De retour
D'une nuit vagabonde

01 mai 2023

Une fois sorti des palais brumeux

De quelle manière
Eventrer le matin
Après avoir passé la nuit
A courir les palais brumeux
A sa recherche
A remonter sa piste
Constituée des miettes de l'aube précédente
Celles qui ont été
Rincées et esquintées
Par le jour, ses éclats et ses pluies
De quelle manière
Fendre le matin par le milieu
Lui qui a passé les heures sombres
A se dérober, à filer
A travers le marbre assombri
Lui qui a multiplié les fards et les masques
Lui qui a enfilé dans sa fuite éperdue
Des étoles volées à la nuit
De quelle manière lui ouvrir le ventre
Si ce n'est après des cavalcades et des épuisements
Si ce n'est d'une main sur son épaule
Et de l'autre sur la lame
En lui murmurant quelque chose
Qui ressemble à une invitation
Celle de réfléchir à ce qu'on ferait ensuite du jour
Après lui
Après l'avoir accueilli de la sorte
La dague en main
Alors qu'il s'échappait des palais noirs
Et qu'il pensait être tiré d'affaire

03 avril 2023

De retour des tourbières

Ta façon d'empoigner
Le silence
De lui faire rendre gorge
De t'assurer qu'il n'ira pas
Bavasser ailleurs
Se répandre
Monter celle et celui
Qui reviennent
Les bottes crottées
De leurs vies en tourbières
L'une contre l'autre
Ta façon de le saisir
Alors qu'il croyait
Pouvoir s'assoupir entre eux
S'allonger
Se reposer
Prendre du temps
Auquel celle et celui
De retour de territoires
De fumées humides
N'ont pas eu droit
Ta façon de lui montrer
Que tu as appris
A renifler
Les pas de loup

01 mars 2023

Forteresse

Le ciel
Avait le calme
Sur l'horizon
D'une boucle de cheveux
Sur ton oreille
On pouvait faire les fiers
Jouer à celle et celui
Qui attendent le vent
De pied ferme
Qui tirent avec frénésie
Sur quelques cordages à leur portée
Qui tripotent leurs lunettes foncées
On pouvait parler
De tout ce qu'on ne connaissait pas
Et surtout des tempêtes
Des nuages qui reniflent
Des pluies de mucus
Seulement voilà
Ensuite le vent s'est levé
Et il a fallu se répartir
Les tâches
Pour défendre
La forteresse
Guère plus épaisse
Qu'une boucle de cheveux
Sur ton oreille

01 février 2023

De ce côté-ci des ennuis

Je me suis équipé
D'une feuille morte
Pour traverser une flaque
Et atteindre le trottoir d'en face
J'ai fait provision de soleil
Et lorsque l'heure fut venue
De regagner le côté demeure
La feuille avait cassé
Le soleil avait disparu
Le sombre s'était emparé de la rue
J'étais déséquipé
A regarder des ombres et des esquisses
Que je devinais puisqu'elles devaient représenter
Ces gestes qui me maintenaient en vie
Quelques heures auparavant
De ce côté-ci des ennuis

01 janvier 2023

Dans de l'eau claire et du vinaigre

La truffe au sol
Chercher les ennuis
Dans les feuilles et la bave
Remonter la piste
Contre le vent
Et le soleil
Déguisé en zèbre
Au fond des bois
Humides et crus
Par les forêts
Propices à héberger
De bien beaux ennuis
Qu'on ramènera chez soi
Qu'on lavera
Dans de l'eau claire et du vinaigre
Qu'on disposera
Dans un bocal spacieux
Tout le confort nécessaire
A les conserver et à les élever
Jusqu'à ce qu'on les déguste
En bonne compagnie
Un de ces soirs
Rapiécés, sombres et velus
Au fond d'une saison
Qui chante
Faux, à tue-tête et en haillons