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Jocelyne F. se dandina vers les baies vitrées. Depuis que Juan, son petit-fils, lui avait offert des pantoufles de plastique mou, doux et rose, il semblait à Jean-Jacques K. que ce balancement rondelet du corps s'accentuait. "C'est le top pour mes maux de dos", avait-elle sifflé devant ses collègues.
Tant et si bien qu'au moins quatre paires de chaussures similaires se mêlaient maintenant aux traditionnelles baskets de nubuk du dress code administratif traditionnel et s'agglutinaient contre les parois vitrées pour regarder "ce que c'était au juste. Parce qu'on dirait vraiment comme des coups de feu."
Le silence s'empara soudain de la section "Contentieux Ouest" du Service d'encaissement des contributions. Sur les grandes dalles de béton ciré qui constituaient la Place du Général D., un homme faisait le vide autour de lui. Il tenait une arme de type AK-47, selon Jean-Claude E., apprenti au service de la calculation et "fan de jeux vidéo extrêmes mais bien réalisés."
Le tireur se tenait pratiquement arc-bouté, le dos cambré, la bouche ouverte. On devinait sa langue légèrement repliée. Jean-Jacques K. repensa alors à ces marsupiaux qu'il avait vu dans des reportages sur les chaînes spécialisées, durant ses insomnies. Ces animaux agiles se servaient généralement de leur queue comme balancier pour rétablir leur équilibre.
Il y avait déjà une bonne dizaine de corps à terre. L'homme tournait sur lui-même en arrosant les alentours. Des balles perdues se fichaient dans les murs de molasse de la vieille ville de B. L'ensemble des salariés de la section "Contentieux Ouest" du Service d'encaissement des contributions, désormais aux fenêtres, hurlèrent lorsqu'une balle éclata sur une des vitres blindées du bâtiment administratif, juste sous leur nez. Elle laissa une tâche irisée de verre pilé, rappelant "les moustiques qui s'éclatent contre le pare-brise sur l'autoroute", lâcha Jean-Claude E., qui étudiait actuellement le Code de la route en vue de l'obtention de son permis de conduire.
A nouveau concentrés sur la Place du Général D., les salariés aperçurent "le terroriste", comme beuglait Jocelyne F., qui se dirigeait vers le sas de distributeurs automatiques d'un établissement bancaire au nord de l'esplanade. La surface de béton ciré était désormais piquée de taches luisantes et rougeoyantes.
Cheminant dos aux baies vitrées de la section "Contentieux Ouest" du Service d'encaissement des contributions, l'homme laissait apparaître le logo de la société de maintenance Happiness is rising, imprimé sur son coupe-vent imperméable orange.
A suivre.
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